Visitez Hauteville House au temps de Victor Hugo

Charles Hugo dans son livre Chez Victor Hugo par un passant, publié en 1864, a gardé le souvenir de Hauteville House telle que son père venait de l’aménager. Il vous la fait visiter, en compagnie du photographe Edmond Bacot :

« Le caractère de cette maison, c’est qu’elle est signée à chaque instant soit par la pensée, soit par le goût, soit par le travail de Victor Hugo. Pas un détail ne s’en est fait qu’il n’y ait présidé ! Il a tout dirigé, tout voulu, tout surveillé. C’est un autographe à deux étages. Si jamais on la démolie, on trouvera sur la muraille les épures de toutes les constructions et ameublement ».

« Enfin, si vous descendez vers la mer, une grande maison attirera vos regards et vous y lirez ce nom dès à présent fameux : Hauteville House. Et alors, faisant retour sur vos propres impressions, vous verrez se grouper dans une même pensée, comme elles sont réunies dans un même lieu, ces émouvantes grandeurs qui s’appellent la liberté, l’exil, le poëte  ».

Charles Hugo
Chez Victor Hugo par un passant

Le vestibule

« On entre chez Victor Hugo par un vestibule dont la disposition arrête le regard. – On est devant une sorte d’édifice dont le linteau supérieur présente un haut bas-relief doré et peint figurant les principaux sujets de Notre-Dame de Paris – Ce frontispice de Hauteville-House est d’un effet profond et charmant ; il semble que la famille romanesque créée par le poëte vous souhaite la bienvenue chez lui et qu’on ne puisse, en effet, entrer chez Victor Hugo que par le portail de sa première œuvre. […] »

Le billard

« Puisque cette porte nous fait si bon accueil, franchissons-la et entrons dans la salle de billard, qui n’est pas, on va le voir, une des moins intéressantes pièces de la maison. – De grands tableaux de famille, quelques cartes de géographie, enfin des dessins du poëte, encadrés dans des bordures de sapin verni, font toute la décoration de cette salle. On est tout de suite attiré par la physionomie étrange de ces dessins à la plume. […] »

Le salon de tapisserie

« De la salle de billard on entre dans le salon de tapisserie, comme on l’appelle à Hauteville House. Ici, de même que dans les autres pièces d’ailleurs, la cheminée a été la composition principale (le foyer ne doit-il pas être le plus grand attrait de la famille ?). – Que l’on se figure donc une cathédrale de bois sculpté qui, s’enracinant puissamment dans le plancher, s’élance d’un seul jet jusqu’au plafond dont elle écorche la tapisserie de ses dernières dentelures. Le portail serait ici figuré par le foyer ; la rosace, par un miroir convexe posé au-dessus de la cheminée ; le pignon central par un robuste entablement fleuri de feuillages fantastiques et décoré d’arcades d’un goût délicieusement bâtard, où le byzantin se mêle au rococo ; les deux tours, enfin, par deux contre-forts qui répètent heureusement tous les ornements de l’ensemble. Le couronnement, d’un effet tout imposant, rappelle les façades des maisons d’Anvers et de Bruges. Là aussi, comme dans les toitures de ces vieilles masures du temps de Philippe II, une figure s’engage dans la simplicité du bois et en fait vivre la ligne vigoureuse et écrasée.

Cette figure est celle d’un évêque dont la crosse seule est dorée ; elle porte, en deux écussons placés à sa droite et à sa gauche, cette devise empruntée à un de nos plus spirituels proverbes :

Crosse de bois, évêque d’or

Crosse d’or, évêque de bois. […] »

L’atelier

« En passant dans une pièce que l’on nomme l’atelier, nous avons remarqué un autre meuble vraiment monumental et qui, comme celui du salon de tapisserie, monte du plancher au plafond. – Pour qui aime à tout ramener à une idée générale, il est évident que Victor Hugo a le goût du démesuré. […] »

La salle à manger

« Le repas important par la conversation et par sa durée,  c’est le déjeuner. – A onze heures tout le monde arrive à la fois ; rarement il se voit un retardataire. Victor Hugo est des premiers, et rien n’est plus simple  ni plus patriarcal que ses façons d’agir. A le voir arriver vêtu tout de drap gris, coiffé d’un feutre gris, les deux mains gantées de laine, on le prendrait pour un fermier venant siéger au repas de la ferme, si ce n’étaient la grâce de son salut et les délicates attentions de sa parole.

Une fois à table, on ne saurait s’acquitter plus consciencieusement des devoirs du maître de maison. C’est lui qui fait les parts et les distribue à chaque convive, observant avec la dernière rigueur l’ordre de la plus stricte étiquette ; l’étranger se trouve être le premier. […]

Les murs sont recouverts non plus de tapisseries ou de bois sculpté, mais de magnifiques faïences de Hollande du XVIIe siècle. Que l’on imagine une immense mosaïque représentant de gros bouquets de fleurs peintes avec minutie et jetées dans des vases capricieux, puis des animaux bizarres où éclate l’esprit des imaginations grotesques de la Hollande chinoise.  Cette mosaïque à fond blanc et bleu s’appuie sur un soubassement de chêne qui forme trois stalles massives historiées de vénérables peintures sur panneaux ; ce qui donne à la salle à  manger l’aspect d’un de ces anciens réfectoires de couvent ou les bons moines de Rabelais jeûnaient avec force poulardes, et célébraient, en riant, la divinité de la bouteille. Une glace à biseaux, surmontée d’un petit enfant endormi ciselé dans le cuivre, ravive encore cette cuirasse d’émail que deux grandes fenêtres ouvertes sur le jardin envahissent de leur lumière.

Et maintenant, ajoutez une cheminée construite en carreaux violets et bleus, une de ces cheminées comme en avaient nos aïeux, faites pour donner confiance aux plus robustes appétits, - au plafond une tapisserie des Gobelins représentant, avec son écrin de couleurs, les richesses de l’été, - et vous comprendrez que l’on s’attarde volontiers à la table du poëte. […]

Il ne nous appartient pas de décrire en entier un fauteuil de chêne, toujours vide, qui est adossé au mur et placé au haut bout de la table. Victor Hugo y voit la place des aïeux au repas de la famille. Une chaîne a fermé ce fauteuil que porte, entre autres inscriptions, celle-ci :

     Les absents sont là. »

Le salon rouge

« Une tenture de damas de l’Inde cramoisi couvre les murs du salon rouge, et sert d’encadrement à de grandes tapisseries de jais de Norvège, qui ont appartenu à la chambre à coucher de la reine Christine, à Fontainebleau. […]

On se demande comment l’ameublement pourra répondre à une pareille tenture ; - mais ici encore la cheminée a porté tout l’effort du décorateur. – Figurez-vous la poupe du Bucentaure, quand le doge épouse la mer. Quatre statues, dorées à l’or de Venise et réalisant ces vers de Lucrèce :

     Juvenum simulacra per aedes

     Lampadas igniferas manibus retinentia dextris,

Supportent le dais au-dessous duquel est la cheminée. Ce sont des nègres au profil camus, à la tête rasée, aux formes fines et athlétiques, à peine couverts d’une légère draperie qui s’ouvre sur la poitrine, s’agrafe sur l’épaule et laisse les jambes nues. Chacun d’eux garde une allure différente, et tous pourtant font partie du même groupe. Ils s’élancent à demi et semblent obéir à un ordre : on dirait un quadrige d’esclaves d’or. Derrière eux, une glace montant jusqu’au plafond les reflète splendidement.

Dans les embrasures laissées de chaque côté par la saillie de la construction générale, deux vieilles chimères du Japon entr’ouvrent leurs grimaces, et se regardent dans deux miroirs à cadre rocaille. »

Le salon bleu

« Le salon bleu, qui fait suite, n’est pas moins somptueux dans un autre ordre de décoration ; mais nous ne voulons en rapporter que le souvenir d’une petite représentation qui nous y fut donnée un soir. On jouait une charade sur un sujet proposé par Victor Hugo. »

La galerie de chêne

« Six fenêtres, donnant sur le fort Saint-Georges et sur la mer, distribuent la lumière à travers une véritable forêt de chêne sculpté. Devant quel meuble, devant quelle rareté de ce musée s’arrêter d’abord. On se le demande. On regarde, on regarde encore, et, quand on croit avoir tout vu, on s’aperçoit qu’on a laissé d’innombrables détails."Disposée sur une profondeur double de celle des salons du premier étage, la Galerie de chêne est divisée en deux par un habile arrangement des meubles combiné avec un beau portail à colonnes torses, style Renaissance, peintes et dorées. Dans la première partie, se dresse la cheminée; dans la seconde, on entrevoit la masse d’un magnifique lit, tellement vaste qu’on pourrait croire qu’il a été, non pas dressé, mais bâti. »

La chambre de Victor Hugo (le premier look out)

« La maison d’Hauteville a son mât de signal et aussi son look out. – Victor Hugo a choisi pour sa chambre le look out, j’allais dire le grenier, un petit belvédère vitré, ouvert à tous les horizons, énorme pour l’âme, étroit pour le corps, contenant, comme la cabine d’un capitaine, tout dans un espace infime : la petite table, le papier, l’encre, la plume, un lit de fer resserré et dur comme un lit de soldat. »

Le jardin

« Famille, étude, poésie, beaux-arts, divines caresses de l’âme, n’êtes-vous pas toutes puissantes ! – J’ai vu dans le jardin un banc de pierre où Victor Hugo vient s’asseoir. – De là, on domine la ville et la mer, et par delà, à l’horizon, chaque beau jour découvre une ligne blanche à peine visible, qui est la France. J’ai vu le poëte assis sur ce banc, et, tandis qu’il parlait, ses yeux restaient fixés de ce côté de la mer, cherchant à pénétrer la brume…

Ta rive qui nous tente, a-t-il dit. »